Musée - Des applications mobiles pour renforcer la fréquentation

Faire franchir le cap de la première visite tout en restant crédible aux yeux des habitués... et si la démocratisation de l'offre muséale passait par les applications mobiles ?• Pour diffuser la culture au grand public avec un budget restreint, les musées imaginent de nouvelles formes d'échange avec les visiteurs.
• Différents rôles peuvent être attribués aux applications muséales comme autant de fonctionnalités pour le visiteur.
• Les enjeux sont de taille tant pour les usagers que pour les institutions culturelles.
La fréquentation des musées a progressé sur dix ans, notamment celle des grands musées (+ 70 % de visite dans les musées nationaux entre 2002 et 2011(1)) grâce aux différentes actions publiques comme l'ouverture ou la réouverture d'établissements (musées du Quai Branly ou de l'Orangerie), à des programmes d'expositions attractifs ou de nouvelles politiques tarifaires (gratuité catégorielle). Paradoxalement, seul un tiers des Français visite au moins un musée chaque année, un chiffre en diminution(2). Les institutions culturelles utilisent alors de nouveaux espaces de diffusion porteurs du positionnement de l'établissement pour approcher au mieux les visiteurs actuels et potentiels. Les technologies mobiles permettent à cet égard un renforcement des outils traditionnels de communication.
Séduire et attirer le public
Aujourd'hui, un musée n'est plus seulement un lieu de culture à visées éducatives et sociales. Parfois considéré comme une offre de service touristique, c'est aussi une organisation ancrée sur un marché concurrentiel qui est tourné vers la fréquentation et la satisfaction du public. Deux publics et deux objectifs sont identifiés : fidéliser les visiteurs réguliers et faire venir de nouveaux visiteurs.
Une fréquentation inégalitaire
Alors que 70 % des Français n'ont pas visité de musée au cours des douze derniers mois, presque un quart n'y est jamais allé au cours de sa vie(3). Ces chiffres sont éloquents et alertent sur les enjeux des institutions culturelles à comprendre les publics pour démocratiser la culture. Mais alors, qui sont les publics des musées ? Les inégalités sociodémographiques rendent cette pratique culturelle encore assez clivante(4). Ainsi, les hauts revenus ainsi que les CSP+ fréquenteraient davantage les musées que les ouvriers. Il s'agit aussi d'une population urbaine, les Parisiens étant particulièrement représentés. Cette même population est aussi friande de technologies numériques, ce qui peut conforter les institutions à investir pour renforcer davantage l'attrait suscité chez ces visiteurs à fidéliser. Par ailleurs, les publics de musées sont aussi une population relativement âgée, en particulier les jeunes séniors. Une application pourrait plaire à cette génération de séniors qualifiés de silver surfers, mais aussi peut-être capter de plus jeunes populations.
L'arrivée des digital natives
Baignée dans les technologies de l'information et de la communication (TIC), la génération des digital natives, comprenant des individus âgés entre 10 et 24 ans, aurait un rapport modifié à la consommation culturelle. Ces jeunes ont à la fois eu accès à la culture par l'institution scolaire et, connectés, ils sont également dotés d'équipements multimédias et technologiques. Les musées doivent impérativement intégrer ces mutations s'ils souhaitent continuer à transmettre un patrimoine culturel. Ainsi, les applications mobiles pourraient s'inscrire dans une logique d'éducation culturelle afin de familiariser et sensibiliser les plus jeunes publics. Éviter le « choc des cultures »(5) est un enjeu majeur.
Les technologies mobiles face à la muséographie
Le développement du numérique et des technologies transforment la pratique culturelle. Le contenu culturel est aujourd'hui cocréé par les publics qui s'expriment et diffusent ces nouveaux contenus. Il s'agit là d'un visiteur postmoderne, qui n'est plus seulement usager mais acteur d'une culture dont la mise en scène est de plus en plus fondamentale(6). Et si l'application mobile était dans ce contexte un outil de transmission culturelle ?
Avec 80 millions d'utilisateurs d'applications mobiles dans le monde, dont 7 millions en France(7), 185 milliards de téléchargements étaient estimés en 2014. Outre ses conséquences sur la fréquentation, le recours aux technologies mobiles par les musées permettrait de rendre chaque visite unique. De nouvelles formes d'interactivité entre musées et visiteurs sont envisagées sur la base de stimulations intellectuelles, émotionnelles ou sociales. Dans le même temps, des limites sont posées comme la déshumanisation perçue du musée, le détournement potentiel de l'attention ou le risque d'altération du caractère sacré de l'offre muséale par exemple. Cependant, sacraliser le musée ne conduirait-il pas à le vider de son public ou à l'écarter de sa mission de service public ? Des publics qui visitent peu les musées ont tendance à se sous-estimer par rapport aux visiteurs plus assidus. Le non-visiteur se sentirait alors « inadéquat au champ muséal »(8) supposant des coûts notamment cognitifs trop élevés. Les applications mobiles pourraient accompagner ces populations plus novices, lever certaines barrières, modifier l'image des musées et des visiteurs de musées et ainsi briser ce plafond de verre qui empêche un primo-visiteur de franchir l'entrée d'un musée.
Intégrer les attentes des usagers à l'expographie
Lorsqu'on pense à inviter les technologies mobiles au sein des musées, c'est bien de la participation du visiteur dont il est question. Comment les organisations culturelles peuvent-elles interagir avec leur visiteur ? Quel contenu numérique proposer ? L'ère de la muséologie participative(9) est lancée.
État des lieux
Depuis 2009, près de 400 applications muséales ou culturelles ont été lancées en France. Certaines sont nationales, d'autres régionales. 87 sont dédiées à la région Île-de-France. Certaines présentent des événements (43), d'autres sont des e-album ou e-catalogue d'exposition (14). Par exemple, le Grand Palais commercialise à 7,99 euros l'e-catalogue de l'exposition dédiée à Seydou Keïta, spécialement conçu pour l'Ipad. L'offre de médiation est donc renouvelée. Un quart des musées se seraient dotés d'applications mobiles, 12 % seraient en cours de production. Des applications muséales sont proposées selon trois logiques : institutionnelle (valorisation du musée et de son positionnement), de référencement (annuaire visuel) et de « vitrine » (équivalent du site Internet sur mobile). Les musées qui ne proposent pas d'applications évoquent notamment leurs contraintes budgétaires(10). Ces applications institutionnelles représentent un complément de visite mais aussi une aide au parcours du visiteur. Mais, plus précisément, qu'est-ce qu'un visiteur peut en attendre ?
Retrouver ce qu'on aime du musée
Pour 89 % des Français, un musée est un lieu d'apprentissage et pour 67 % un « vrai plaisir »(11). Certes, l'image est positive mais elle ne déclenche pas d'intentions de visite dans les mêmes proportions. L'application mobile pourrait servir de relais afin de véhiculer les valeurs traditionnellement attribuées au musée, intéresser et attirer les non-visiteurs.
Des valeurs de nature fonctionnelle, expérientielle, de socialisation ou spirituelle peuvent être associées à une expérience en musée, avant d'être transférées à l'application(12). Dans sa dimension fonctionnelle, l'application muséale offre au visiteur un nouvel outil à l'accumulation de connaissances (se cultiver sans se déplacer par exemple). Les valeurs d'ordre expérientiel liées aux applications muséales sont tantôt partagées avec les compagnons de visites (un parent avec ses enfants) tantôt centrées sur soi (centrée sur sa découverte personnelle). La notion de partage social est très importante concernant la visite de musée. Lorsqu'on s'intéresse à la visite réelle, une distinction claire est faite selon que l'individu est seul ou accompagné. Via la technologie mobile, le visiteur peut partager son expérience avec ses amis sur les réseaux sociaux par exemple (faire entrer virtuellement d'autres personnes dans la visite). Lorsque la visite est accompagnée, la notion de transmission des connaissances aux enfants notamment est centrale. Rendre le partage de connaissances plus ludique est un enjeu. Par ailleurs, certains parents peu familiers des musées, parfois mal à l'aise dans ce contexte, ont la crainte d'une image potentiellement négative qu'ils renvoient aux enfants, s'ils ne savent pas répondre à leurs questions par exemple. Une application pourrait servir de soutien dans ce cas. L'application permet aussi d'être source de valorisation sociale de l'égo en proposant au travers de jeux et de tests l'acquisition de connaissances. Enfin, il est à noter l'émergence d'une valeur collective culturelle transcendée par la technologie puisqu'elle offre un monde des possibles qui ne nécessite ni de moyens financiers, ni de se déplacer.
Des attentes ambiguës
Des caractéristiques d'usage spécifiques à l'interaction avec l'application muséale peuvent être considérées. Une valeur fonctionnelle de nature financière émerge : la notion de gratuité ou non de l'application. Son évocation semble dépendre du statut d'utilisateur - ou non - d'applications muséales, mais également du type de musée. Des grands musées sont pour certains utilisateurs plus légitimes de proposer ce type de service, qui s'il est payant, paraît plus rentable. De surcroît, les non-utilisateurs d'applications muséales semblent plus résistants au fait de payer : la gratuité est une condition nécessaire à son téléchargement. L'expérience spécifique à la navigation sur application muséale peut être considérée selon deux aspects : l'attrait visuel du support (les couleurs, la dynamique de l'application, etc.) ; le contenu interactif (rythme, guide virtuel, etc.). Par ailleurs, l'application peut permettre à l'utilisateur de se créer une bulle d'intimité réservée au visiteur et à ses accompagnants (être synchrones, ne pas partager l'expérience avec les autres visiteurs). Favorisée par l'utilisation de l'application, cette intimité attendue par l'individu est cependant associée à une crainte de l'isolement due à cette même bulle : la peur de briser un lien, de perdre en échanges sociaux et donc de détériorer sa visite (risque d'isolement). Des facteurs de contexte d'utilisation de l'application doivent être soulignés (type de musées, moment de l'interaction, performances techniques), dont certains liés aux individus (familiarité à l'égard des musées, implication ou résistance). Cet aspect « résistance » à l'égard des applications en général existe notamment à cause des fonctions de géolocalisation ou de transmission de données personnelles.
Logique cross-canal de la visite
L'application peut être utilisée à l'intérieur ou en dehors du musée : avant pour préparer sa visite, après pour prolonger l'expérience mais également pendant la visite. À chacun de ces moments, de nombreux supports de communication - dont l'application mobile prend une place croissante - permettent au visiteur d'être informé. Cette logique cross-canal de la visite muséale est également composée de facettes fonctionnelles, expérientielles ou sociales. Pendant la visite, les valeurs d'usage des applications muséales fonctionnelles sont notamment spatio-temporelles. Les différents supports d'information (guide-papier, guide humain, site mobile du musée ou application mobile) permettent de se repérer pour accéder ou déambuler dans le musée mais également d'optimiser le temps alloué à la visite. L'immédiateté d'obtention des informations est également favorisée par la multiplication des supports et notamment par l'application mobile (être guidé dans son parcours). Au-delà des informations supplémentaires, des valeurs d'expérience associées aux applications muséales stimuleraient les émotions lorsque ce support est consulté parallèlement aux autres. Dans ce cadre, l'application muséale représenterait un outil d'incitation émotionnelle à se rendre au musée (j'aime, cela m'attire, je vais au musée). Par ailleurs, la multiplication des supports d'information peut créer une stimulation sociale par des recommandations de visite diffusées en ligne par d'autres visiteurs par exemple. De plus, pendant la visite, l'usager peut diffuser un commentaire à ses amis ou d'autres individus en ligne. Il peut aussi s'exprimer sur ses motifs de satisfaction après la visite. Autant d'éléments que l'institution pourra intégrer dans sa gestion de la relation au public...
L'application muséale doit refléter le positionnement du musée et être adaptée aux attentes des publics visés. Une attention particulière doit être portée au fait de proposer une application gratuite ou non. Si la cible du musée est composée de « non-utilisateurs relatifs » d'applications muséales, il s'agit alors de proposer une application gratuite et de communiquer sur le service supplémentaire apporté par l'application. Lorsque les utilisateurs sont déjà actifs, l'option « payante » pourrait favoriser la perception d'être traité comme un visiteur unique. D'autre part, il s'agit de préciser explicitement aux développeurs d'applications que l'attrait visuel et la possibilité d'interagir à l'intérieur de l'application sont particulièrement importants dans le contexte de visites muséales. Logiquement, un aspect technique conférant encore aux individus le statut de résistants doit être maîtrisé par l'institution et ses partenaires en charge des outils numériques. En effet, les bugs découragent toujours les mobinautes à télécharger une application. Enfin, les consommateurs attendent d'une application muséale qu'elle leur procure une certaine intimité, tout en n'isolant pas le visiteur ou le groupe de visiteurs. Il s'agit alors de réfléchir à la façon de penser les outils intégrés aux applications comme les audioguides. Proposer des parcours spécifiques aux cibles (parcours famille, enfant ou seul) pourrait aisément être envisagé d'un point de vue technique.
Autant de fonctions et d'actions à considérer pour démocratiser l'accès à la culture et faire entrer le public virtuellement ou physiquement dans les musées.
Mots clés :
COMMUNICATION * Digitale
MUSÉE * Fréquentation
NUMÉRIQUE ET INTERNET * Applications * Mobilité
PUBLIC * Attente des publics * Visite
SOCIOLOGIE * Statistiques
(1) Ce chiffre est à nuancer car sept musées représentent 43 % de la fréquentation générale. J. Eidelman, A. Jonchery, L. Zizi, « Musées et publics : bilan d'une décennie (2002-2011) », département de la politique des publics, DGP - MCC, juin 2012.(2) Selon l'enquête décennale des pratiques culturelles des Français (ministère de la Culture et de la Communication, www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr), la pratique de visite annuelle de musée chez les Français de plus de 15 ans est de 30 % en 2008, 3 % de moins qu'en 1998. Selon l'enquête du Crédoc en 2012, la visite annuelle d'un musée concernerait 35 % des Français.(3) O. Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique, DEPS - MCC, 2008.(4) Tous les chiffres sont tirés de R. Bigot, E. Daudey, S. Holblan, J. Müller, La visite des musées, des expositions et des monuments, Crédoc n° 281, juin 2012.(5) S. Octobre, « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? », Culture prospective n° 2009-1, janv. 2009.(6) A. Clauzel, N. Guichard et C. Riché, Comportement du consommateur. Fondamentaux, nouvelles tendances et perspectives, Vuibert, à paraître sept. 2016.(7) BulkyApps, « Les musées & les applications culturelles sur smartphones », chiffres 2011.(8) H. Gottesdiener, J.-C. Vilatte et P. Vrignaud, « Image de soi-image du visiteur et pratiques des musées d'art », Culture études n° 2008-3, juin 2008.(9) J.-M. Tobelem, Le nouvel âge des musées. Les institutions culturelles au défi de la gestion, Armand Colin, 2e éd., 2010.(10) J.-D. Bousmaer, « Les musées et les applications culturelles sur mobiles et tablettes », 20 mai 2011, www.artistikrezo.com.(11) D. Alibert, R. Bigot, G. Hatchuel, Fréquentation et image des musées au début 2005, Crédoc n° 240, juin 2005.(12) A. Clauzel A., B. Le Hégarat et C. Riché, « Nouveaux services culturels et technologies mobiles : quelles valeurs d'usages pour les applications muséales ? », 31e congrès international de l'AFM, 19-22 mai 2015.