Le m-tourisme dans l'hôtellerie

Le m-tourisme constitue à l'évidence un formidable vecteur de développement pour l'industrie hôtelière. Mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Si l'hôtellerie en réseau a toutes les chances de tirer son épingle du jeu, l'hôtellerie indépendante doit, pour sa part, prendre garde à ce que sa clientèle ne soit pas captée par les centrales de réservation.
Tourisme mobile - dit encore m-tourisme - et hôtellerie, voilà, à l'évidence, un couple fait pour s'entendre ! Nul doute que l'hôtellerie, tout comme la restauration, constitue, parmi les secteurs marchands, un domaine d'application privilégié du m-tourisme. Certes, ces objets dits nomades que sont les smartphones ou autres tablettes, même alliés à une connexion Internet, grâce à laquelle il est possible de se renseigner sur les disponibilités d'un hôtel, sur les appréciations portées par les clients à celui-ci, voire réserver et payer sa nuitée, constituent probablement des instruments moins performants à ce jour qu'un ordinateur(1). Mais le cybertouriste a ceci de particulier que ce n'est pas un internaute comme un autre ; il est en situation de mobilité et n'a souvent pas un ordinateur à sa disposition, cet instrument étant essentiellement adapté à l'internet dit « fixe ». À l'heure actuelle, les smartphones sont donc logiquement devenus les terminaux les plus utilisés par les personnes de ce profil comme mode d'accès à l'information. Le cybertouriste est même devenu un véritable « mobitouriste ».
Il est toutefois certain qu'une pareille utilisation d'un smartphone demeure une pratique encore limitée à ce jour, même si elle ne peut aller qu'en se développant. Il y a encore de nombreux adeptes du guide Michelin, qui croient davantage en la fiabilité des avis du célèbre Guide rouge que de ceux, souvent accusés d'être biaisés, des adeptes de Tripadvisor. Il est également des vacanciers qui préparent leur séjour plusieurs mois à l'avance, de crainte que l'hôtel de leurs rêves ne soit plein lors de la période estivale. Pour toute cette frange de la population, le m-tourisme, c'est tout bonnement un autre monde.
À l'inverse, il a toujours existé des « baroudeurs », pour qui l'improvisation est érigée en art de vivre, et qui ne commencent jamais à se préoccuper du lieu où ils vont passer la nuit avant six heures du soir. Pour ces personnes, assoiffées de liberté, voire d'insouciance, nul doute que le m-tourisme rend de fers services. Il s'agit là, probablement de la cible naturelle, parmi la clientèle des hôtels, visée par les acteurs du m-tourisme. Mais nul doute que le m-tourisme a, en matière hôtelière, une ambition en réalité plus vaste. Il vise probablement, à plus long terme, à modifier les pratiques des cybertouristes dans leur ensemble, y compris les plus prévoyants d'entre eux, seuls les touristes par principe réfractaires aux nouvelles technologies n'étant pas dans sa ligne de mire.
En tous cas, les acteurs du secteur de l'hôtellerie, pour beaucoup d'entre eux, répondent présent au phénomène du m-tourisme et proposent désormais des applications dédiées. En réalité, leur préoccupation est toujours la même : comment conquérir de nouveaux clients, et comment garder la main sur sa clientèle ? Celle-ci semble, en effet, de plus en plus leur échapper, notamment au profit des sites de réservation qui tendent à devenir, au grand damne des hôteliers, de formidables instruments de captation de la clientèle d'autrui. Dans cette nouvelle guerre commerciale, tout le monde n'est malheureusement pas logé à la même enseigne. Si les hôteliers en réseau disposent d'une notoriété et d'une force de frappe financière qui leur permet de tirer somme toute facilement leur épingle du jeu, tel n'est pas le cas, en revanche, des hôteliers indépendants(2).
L'hôtellerie en réseau
Les grands groupes hôteliers ont très rapidement mesuré l'intérêt qu'ils avaient à développer des services mobiles, qu'il s'agisse de sites ou, surtout, d'applications dédiées, que ce soit sur environnement Apple, via l'AppStore, ou Androïd, ou encore à utiliser les réseaux sociaux, tels Facebook(3) comme vecteur de promotion (le but est alors surtout d'encourager les « fans » à partager leur « expérience hôtelière »). Pour eux, il s'agit même là d'un axe de développement majeur, qui va leur permettre d'atteindre une clientèle nouvelle, notamment à l'étranger, ou encore de faciliter les réservations de dernière minute. Ils ont donc massivement investi dans ce domaine. Déjà en 2011, plus des trois quarts des chambres des chaînes étaient visibles et réservables via un site ou une application mobile(4). Début 2014, les services mobiles du groupe Accor permettent d'accéder à près de 3 500 hôtels, du plus luxueux au plus économique, et ce dans 92 pays.
En réalité, cette politique correspond, pour les chaînes hôtelières, à plusieurs enjeux stratégiques(5). Cela s'inscrit évidemment d'abord dans une démarche purement commerciale. Le mobile apparaît, à cet égard, comme un circuit de vente directe complémentaire des circuits traditionnels (téléphone, etc.), qui vise à renforcer les services centraux de réservation des chaînes par rapport aux autres canaux, en particulier pour les ventes de dernière minute. Mais elle correspond également à un enjeu d'image, l'idée étant que le développement d'un site ou d'une application mobile s'inscrit dans une volonté de montrer une image moderne et dynamique de la chaîne, vis-à-vis de ses clients, certes, mais également surtout vis-à-vis de ses affiliés, qui sont généralement des franchisés, qu'il faut sans cesse motiver et dont le sentiment d'appartenance au réseau doit être constamment entretenu. Enfin, les applications mobiles, et dans une moindre mesure les sites mobiles, en ce qu'ils proposent au client un service simple d'utilisation, disponible en permanence, et qui intègre les paramètres personnels de l'utilisateur (adresse mail, téléphone mobile, numéro de compte, mais aussi liste des hôtels favoris, historique des réservations, etc.), constituent un précieux outil de fidélisation et d'accompagnement du client.
Mais il va de soi que la profusion d'applications présentes sur des plates-formes comme l'AppStore rend difficile une parfaite visibilité, même pour des acteurs aussi connus qu'Accor ou Hilton, lesquels ne peuvent s'asseoir sur leur seule notoriété. Il est essentiel pour eux de faire connaître auprès des utilisateurs leur application, et une démarche de communication forte doit, à cet égard, être menée. Pour cela, les procédés traditionnels - tels la publicité dans la presse - ne sont pas forcément les moins performants, même s'ils sont coûteux. En ce qui concerne l'hôtellerie indépendante, en revanche, développer sa propre application mobile constitue une gageure.
L'hôtellerie indépendante
Coût élevé du développement, de la promotion et de la gestion des services mobiles, absence de savoir-faire en m-marketing, déficit de notoriété. Tels sont les principaux freins, pour l'hôtellerie indépendante, à la mise en oeuvre d'une politique de m-tourisme « en solo ». Certes, il est toujours possible de développer son mini site d'information, voire de réservation en ligne, adapté à une consultation à partir de terminaux mobiles. Cela présente d'ailleurs le mérite d'être peu coûteux, en pratique de l'ordre de quelques centaines d'euros, de telle sorte que les exploitants des modes d'hébergement alternatifs, tels les campings ou les chambres d'hôtes, peuvent tout à fait s'en contenter. S'agissant des hôteliers, l'une des vertus d'une telle stratégie est d'accroître la visibilité de leur établissement et de permettre un référencement satisfaisant de celui-ci sur les sites Web mobile(6). Mais l'impact de celle-ci est somme toute limité. Les hôteliers indépendants ne peuvent, en effet, faire l'économie de partenariats, que ce soit avec les collectivités locales ou encore avec les centrales de réservation, qui sont à même de drainer à leur profit une clientèle significative.
Les collectivités locales, via les différents organismes touristiques qui leur sont liées (agences de développement touristique, comités régionaux du tourisme, offices du tourisme, etc.), ont, dans le cadre d'une politique globale de promotion du tourisme, développé des services d'information mobiles dédiés. Par exemple, a été créé en 2012 le module GPS et multimédia « Mes routes d'Alsace par GPS »(7), fruit d'une collaboration entre l'agence de développement touristique du Bas-Rhin, celle de Haute-Alsace, le RésOT-Alsace (Réseau des offices de tourisme) et la société alsacienne Tekitizi spécialisée en média interactif, dit encore RichMedia. Ce nouvel outil de visite présente les sites et monuments incontournables de la région via une interface Web intégrant une cartographie interactive, et permet d'accéder à un guidage par GPS et à des informations patrimoniales ou historiques sur site mobile. Toute démarche commerciale n'est cependant pas absente, puisque le mobinaute peut également avoir accès à des informations pratiques, parmi lesquelles les références (sites Internet, etc.) des hôtels situés sur le parcours qu'il aura préalablement défini. Il s'agit là incontestablement d'un outil d'avenir, qui va permettre à certains petits hôtels, parfois isolés des circuits touristiques classiques, d'accroître leur visibilité et d'obtenir des réservations, ce, sans bourse délier.
Mais, aujourd'hui, ce sont les systèmes de réservations en ligne, dits IDS (Internet Distribution Systems), qui sont les principaux vecteurs d'accroissement de clientèle pour les hôteliers indépendants. Ces acteurs, dont les plus importants sont Booking.com, HRS (HotelReservation Service), Hotels.com, ou encore Expédia, commercialisent environ 13 000 hôtels en France, soit environ les trois quarts de l'ensemble des établissements hôteliers(8). C'est dire qu'ils sont devenus incontournables. Il faut dire qu'ils ont développé des sites Internet et des applications mobiles très performants. Mais ils sont régulièrement critiqués par les représentants des hôteliers indépendants, lesquels les accusent, outre de leur imposer le paiement de commissions élevées (jusqu'à 25 % du prix de la chambre), de leur faire perdre toute liberté dans la conduite de leur stratégie commerciale. En fin de compte, selon eux, tout se passe comme si ces centrales procédaient à une captation de la clientèle des hôteliers indépendants et se rendaient propriétaires de leur fonds de commerce(9). L'accusation est grave. Mais un récent avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales(10) pourrait contribuer à rééquilibrer la situation, puisqu'il a déclaré anti-concurrentielle, donc nulle, sur le fondement de l'article L. 442-6-II-d du code de commerce, la clause dite de parité, imposée par les centrales de réservation aux hôteliers dans leurs conditions contractuelles. En vertu de celle-ci l'hôtelier s'engage à assurer des conditions au moins aussi avantageuses, notamment en matière tarifaire, aux clients qui réservent une chambre via une centrale qu'à ceux qui traitent directement avec lui. Ce qui signifie très concrètement que, du fait de ce type de clause, l'hôtelier qui veut effectuer des promotions substantielles, notamment pendant les périodes creuses ou au profit de sa clientèle d'habitués, doit également en faire profiter la centrale de réservation. En bref, ces centrales de réservation constituent un mal nécessaire, mais force est de constater que les mobinautes en sont friands, notamment parce qu'elles contribuent à tirer les prix vers le bas. Le m-tourisme, appliqué au secteur de l'hôtellerie, est donc incontestablement l'ami des consommateurs. Est-il également celui des hôteliers ? À ce jour, ils ne sont, certes, pas unanimes à dire « Je t'm-tourisme », mais l'optimisme doit être de mise.
Mots clés :
COMMUNICATION, MARKETING, COMMERCE * Publicité * Relation presse * Site
HÉBERGEMENT * Hôtel * Hôtellerie de plein air * Réglementation * Réservation
NUMÉRIQUE ET INTERNET * M-tourisme
COMMUNICATION, MARKETING, COMMERCE * m-tourisme
(1) Cela étant, le smartphone, en ce qu'il est lié au réseau téléphonique cellulaire, constitue un instrument privilégié de géolocalisation. Il permet très facilement de localiser les points d'intérêts les plus proches de son utilisateur, au premier chef les hôtels, ainsi que l'itinéraire pour s'y rendre. S'agissant des tablettes, qui ne sont que pour une minorité d'entre elles reliées à ce réseau, elles sont dépendantes d'un accès Wi-fi, un tel accès n'étant malheureusement pas toujours gratuit, loin de là.(2) Sur cette distinction fondamentale, V. X. Delpech, « Le développement de l'hôtellerie en réseau », JT n° 142/2012, p. 23.(3) « E-tourisme : Comment les hôtels utilisent Facebook », www.marketingonthebeach.com, 9 juill. 2009.(4) Guide pratique PME, M-tourisme, DGCIS-PIPAME, déc. 2011, p. 5.(5) Étude préc. note 4, p. 12.(6) Surtout si l'hôtelier a, de plus, pris soin de créer un sitemap mobile pour son site, lequel permet de signaler aux moteurs de recherche des pages de son site qu'ils n'auraient peut-être pas eux-mêmes détectées.(7) www.alsacegps.com.(8) Étude préc. note 4, p. 16.(9) R. Héguy, « Sites de réservation en ligne : ça suffit », JT n° 147/2012, p. 15.(10) CEPC, avis n° 13-10 sur les relations commerciales des hôteliers avec les entreprises exploitant les principaux sites de réservation hôtelière, JT n° 157/2013, p. 11, obs. E.R.