L'avenir de l'assurance de la responsabilité des acteurs du marché de l'art

L'essentiel
Dans le prolongement du colloque réalisé par l'Institut Art et Droit en juin dernier sur « La responsabilité des acteurs du marché de l'art » (Dalloz IP/IT 2018. 272 s.), Françoise Labarthe, Michel Maket, Hélène Dupin et Jean-Pierre Osenat ont accepté de poursuivre leur réflexion sur le thème assurément lié de l'assurance.La France occupe une place particulière en termes de droit des assurances car il existe une multitude de possibilités pour s'assurer. À ce stade, il persiste cependant une différence entre vouloir, pouvoir et devoir s'assurer. S'agissant des ventes volontaires, l'assurance est de l'ordre du devoir (assurances obligatoires) alors que son avenir est plus difficile à entrevoir en dehors du cadre des ventes. En effet, tous les experts ont intérêt à s'assurer, mais il n'est pas certain que les autres sachants (comités d'artistes, auteurs des catalogues) en aient la possibilité ni la volonté. À partir du moment où ce ne sont pas des professionnels susceptibles de se fédérer, ont-ils les moyens de s'assurer ?
I - Le point de vue des experts - Michel Maket, Expert en peinture du XIXe et XXe, Président du Syndicat Français des Experts Professionnels en oeuvres d'art (SFEP), Membre de l'Institut Art et Droit
Michel Maket fait part de son sentiment sur l'actualité de l'assurance et, plus particulièrement, sur l'assurance de l'expert. Selon lui, en France, il existe des liens fondamentaux entre la responsabilité de l'expert, sa garantie et son assurance. De ce fait, les experts se sont rapidement regroupés en un syndicat. Fondé en 1945, le Syndicat français des experts professionnels (SFEP) est, en outre, la plus ancienne organisation d'experts en France.
Très vite, les experts ont pris conscience de l'importance de l'assurance pour leur métier. Le SFEP en oeuvres d'art avait donc souscrit, dès 1953, une assurance de responsabilité civile pour l'ensemble des cinquante membres de l'époque. Cette assurance comportait déjà une clause subséquente, qui couvrait l'assuré jusqu'à prescription légale. En cas de sinistre, la franchise s'élevait à 10 % du montant total de la condamnation et des frais. Les cinquante membres étaient couverts à hauteur d'environ 218 000 € actuels, pour une prime globale de 5 563 € (104 € de cotisation individuelle).
Depuis 1953, le SFEP a changé quatorze fois de compagnie, douze fois de contrat et six fois de courtier.
Aujourd'hui, l'obligation d'assurance est statutaire ; la sanction disciplinaire est la radiation.
Par ailleurs, l'expert n'est garanti que pour les spécialités pour lesquelles il est agréé.
Les évolutions du marché de l'art depuis 1953 n'ont pas encouragé les compagnies à couvrir les risques du métier d'expert. En 1999, le rapport de Yann Gaillard évoque une stabilité juridique incertaine. Tantôt moins, tantôt plus responsable, la situation de l'expert n'est pas réconfortante pour l'assureur.
Le contrat actuel est divisé en quatre catégories, qui elles-mêmes disposent de deux options. Chaque catégorie correspond à un groupe de spécialités considérées comme plus ou moins à risque.
La catégorie 1 comprend les tableaux, les dessins, les sculptures, les meubles de toutes époques, ainsi que l'art contemporain et les arts décoratifs du XXe siècle. La catégorie 2 est composée ainsi : les estampes, la haute époque et les arts d'extrême orient, et les objets d'art du XVIIe au XIXe siècle. La catégorie 3 a, quant à elle, été créée il y a peu d'années pour les experts dits « auteurs de catalogues » dont le nombre d'artistes expertisé est égal ou inférieur à 3. Le montant de la cotisation en option 2 est de 780 €, ce qui contredit l'idée reçue qu'ils n'auraient pas les moyens de s'assurer. Enfin, la catégorie 4 se rapporte à toutes les autres spécialités depuis les dentelles jusqu'aux bijoux. Les deux options sont disponibles dans les quatre catégories. La première option l'est jusqu'à 500 000 € par sinistre et par adhérent avec un plafond d'un million d'euros par année. L'option 2 passe à un million d'euros par sinistre avec un plafond de deux millions par an. L'évolution du marché est prise en compte, puisque les arts d'extrême orient sont passés il y a quelques années de la catégorie 4 à la catégorie 2.
La prime annuelle en catégorie 1 option 2 est la plus élevée, à 1970 €, alors que la prime de la catégorie 4 option 1 n'est que de 362 €.
Le SFEP compte aujourd'hui 130 membres actifs dont 83 ont adhéré au contrat de groupe à adhésion individuelle.
Cependant, il se pose la question de l'avenir de l'assurance de l'expert face aux récentes évolutions que connaît le marché de l'art. En effet, une dématérialisation du marché est constatée et donc de l'expertise dans l'authentification. Monsieur Maket note par exemple la création de la première application mobile d'expert (l'assuré prend des photos et les poste, et un expert valide et indique la valeur du bien). Monsieur Maket souligne qu'il serait utile d'uniformiser les prescriptions pour toutes les activités d'expertise, afin que les expertises en ventes volontaires, expertises judiciaires et expertises privées bénéficient d'une prescription unique. Cette uniformisation serait plus claire et plus simple pour les consommateurs. De même, l'obligation d'assurance devrait s'appliquer à tous les actes d'expertise.
Auteurs de catalogues, spécialistes et ayants droit sont de plus en plus concernés par la responsabilité. L'avenir de l'assurance dépendra de l'évolution du marché ou de la création de nouvelles responsabilités plus ou moins importantes de l'expert.
II - Le point de vue de l'avocat - Maître Hélène Dupin, avocat au barreau de Paris, Membre de l'Institut Art et Droit
Hélène Dupin fait la différence entre, d'une part, les professionnels que sont les experts et les organismes de ventes volontaires ou marchands d'art et, d'autre part, les certificateurs, spécialistes ou sachants, également appelés « authentificateurs », qui ont une place particulière sur le marché de l'art, dans lequel ils ont un rôle crucial sans pour autant en être des acteurs professionnels. Il peut s'agir des ayants droit d'un artiste, de comités d'artistes, de spécialistes qui sont souvent des chercheurs ou des historiens, intervenant bénévolement, en accessoire d'une autre activité.
S'agissant des professionnels, on connaît les frontières de leur responsabilité et l'obligation d'assurance qui en découle, un point sur lequel la jurisprudence est sévère. Mais la situation n'est pas aussi claire pour les certificateurs non professionnels, qui n'agissent pas dans le même but et ne donnent pas leur avis dans les mêmes conditions.
On pourrait imaginer un rapprochement avec le statut des auteurs de catalogues raisonnés, dont la décision d'inclusion d'une oeuvre équivaut souvent à un certificat d'authenticité. Sur ce point, la jurisprudence a évolué jusqu'à un arrêt rendu le 22 janvier 2014 par la Cour de cassation(1), qui accorde à l'auteur du catalogue raisonné une protection très large au nom de la liberté d'expression. Les juges considèrent en effet, au visa de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que la responsabilité de l'auteur du catalogue raisonné ne peut être engagée du fait de son refus d'inclure une oeuvre, fût-elle authentique. La liberté d'expression surpasse ainsi la responsabilité de certification. La liberté d'expression a été invoquée au bénéfice d'un ayant droit certificateur, sans succès, dans le cadre de l'affaire de La vague de Camille Claudel(2). Néanmoins, sans doute était-ce un cas d'espèce.
À ce jour, les juridictions ont un choix à faire : rapprocher les certificateurs des experts professionnels ou les rapprocher des auteurs de catalogues raisonnés. Hélène Dupin plaide en faveur de ce dernier rapprochement, car les certificateurs, tout comme les auteurs de catalogues raisonnés, ne sont pas des professionnels de la vente d'oeuvres d'art et ne sont pas directement intéressés au commerce de l'art. Ce sont le plus souvent les marchands et opérateurs de ventes volontaires qui choisissent de les consulter, or les certificateurs n'ont aucun intérêt financier à ce qu'une oeuvre soit vraie ou fausse. Le marché a besoin d'eux et doit donc être en mesure de les protéger. De surcroît, les certificateurs sont souvent bénévoles et ne perçoivent pas une véritable rémunération, digne d'un travail professionnel (souvent, seuls des frais de fonctionnement sont perçus).
La certification est devenue un point sensible du marché de l'art. Aucune réponse satisfaisante n'a pour l'heure été trouvée pour protéger les certificateurs. Peut-être faudrait-il envisager des assurances adaptées pour les spécialistes et comités, dont l'activité est intrinsèquement à risque ? Certains comités sont assurés auprès de grandes compagnies, mais une grande partie des spécialistes et comités n'ont pas d'assurance couvrant les erreurs d'attribution, soit parce qu'ils ne pensent pas en avoir besoin pour cette activité exercée bénévolement, soit parce qu'ils n'ont pas trouvé d'assureur acceptant de couvrir ce risque en raison des montants en jeu, sans proportion avec les revenus réels de leur activité et leurs moyens. Les certificateurs intègrent parfois des compagnies d'experts et bénéficient alors des assurances de groupe, mais les comités ou spécialistes qui ne sont pas marchands hésitent à le faire, craignant, à juste titre, la confusion avec les experts professionnels.
Une autre solution serait de mutualiser les risques en créant une organisation spécifique regroupant les comités et spécialistes, mais pour l'heure rien de tel n'est envisagé, peut-être parce que chacun tient à son indépendance et à une certaine confidentialité.
On peut imaginer toutes sortes d'astuces pour que les opérateurs de ventes volontaires, qui bénéficient des avis rendus par les certificateurs qu'ils consultent, en endossent la responsabilité. Les opérateurs de ventes volontaires faisant appel à un spécialiste pourraient avoir recours à un contrat de travail à durée déterminée très court (par ex. d'une journée), ce qui permettrait d'appliquer le droit commun de la relation entre commettant et préposé.
À défaut d'une protection adaptée pour les certificateurs, le risque est de se retrouver dans une situation similaire à celle des États-Unis où d'importants comités, tels que celui d'Andy Warhol ou de Jean-Michel Basquiat, ont fini par ne plus s'exprimer en raison des nombreuses poursuites auxquelles ils faisaient face et des coûts démesurés des procédures et des polices d'assurance. Le besoin de protection de ce maillon faible est tel que, dans l'État de New York, un projet de loi est à l'étude pour limiter les actions en responsabilité contre les authentificateurs qui ne participent pas aux ventes.
III - Le point de vue du commissaire-priseur - Jean Pierre Osenat, Commissaire-priseur, Président du syndicat national des maisons de ventes volontaires et Membre de l'Institut Art et Droit
L'approche de Monsieur Osenat correspond à une perspective plus pratique de la réalité du métier de commissaire-priseur face à l'assurance. À ce titre, il confie payer 60 000 € d'assurance par an mais sa mise en jeu est très rare. Par ailleurs, la tendance est toujours à l'augmentation, en raison des évolutions du marché : aujourd'hui, il n'existe plus de clauses élusives de responsabilité. En effet, notamment du fait de l'augmentation des ventes par internet et des personnes qui achètent à distance, des obligations supplémentaires se sont ajoutées à la charge de l'opérateur de vente volontaire.
Il existe plusieurs difficultés auxquelles le commissaire-priseur peut faire face et qui seraient susceptibles d'engager son assurance de responsabilité. Il s'agit des litiges concernant l'authenticité, des contestations concernant le mandat du commissaire-priseur (pour les frais de vente, le non-respect du prix de réserve) ou encore plus fréquemment des réclamations émises par des acquéreurs à distance n'ayant pas réussi à effectuer leur achat.
Pourtant, en pratique, très peu de litiges aboutissent car les maisons de ventes préfèrent tenter un règlement à l'amiable. En effet, il est indispensable d'éviter toute mauvaise publicité, le commissaire-priseur étant dans une relation commerciale avec le client. Ainsi, les contentieux sont rares et l'assurance joue donc assez peu.
Maître Osenat souhaiterait que les liens entre la maison de vente et son assureur se resserrent et que celui-ci ne soit plus un acteur a posteriori. La relation avec l'assureur doit être anticipée, il doit être un partenaire et plus un simple recours dans une contestation.
Mots clés :
DROIT DES ASSURANCES * Oeuvres protégées * Responsabilité civile
(1) Civ. 1re, 22 janv. 2014, n° 12-35.264, Bull. civ. I, n° 10.(2) Civ. 1re, 25 févr. 2016, nos 14-18.639 et 14-29.142.